Lettre ouverte
L’abattage des loups en Suisse de décembre 2023 à janvier 2024
Au conseiller fédéral Albert Rösti et au comité permanent de la Convention de Berne
28 novembre 2023 – Nous, soussignés, sommes extrêmement préoccupés par l’abattage à venir qui permettrait à la Suisse de réduire le nombre de loups suisses jusqu’à 70%, ainsi que par la récente modification de la législation nationale suisse qui sape la protection des loups et fournit un cadre juridique aux cantons pour extirper des meutes entières jusqu’à un quota fixé sur une base préventive, indépendamment du fait qu’elles aient ou non causé des dommages importants au bétail ou menacé des êtres humains.
Ces mesures radicales et unilatérales ne menacent pas seulement la fragile population de loups de Suisse, elles ont un impact négatif sur l’ensemble de la population de loups des Alpes occidentales et centrales. Le préambule de la Convention mentionne expressément la double menace de l’appauvrissement et de l’extinction des espèces. En tant que prédateur du sommet de la chaîne et espèce clé de voûte, le loup contribue à une vie animale et végétale plus riche. Les mesures préventives, telles que les clôtures électriques et les chiens de garde, sont efficaces pour réduire la prédation du bétail et devraient être plus largement mises en œuvre. Il existe de meilleurs moyens de coexister avec cette espèce clé que l’abattage aléatoire et à grande échelle.
Contexte
Originaire de Suisse, le loup gris (Canis lupus) a été chassé jusqu’à l’extinction à la fin du 19e siècle, le dernier individu ayant été abattu au Tessin en 1872. Au milieu des années 1990, les loups ont commencé à recoloniser naturellement certaines parties du pays à partir de l’Italie. La première meute, sans doute la plus célèbre, s’est formée en 2012 dans la région de Calanda, dans le canton des Grisons. Depuis, des loups ont été recensés dans 20 cantons, principalement dans les Alpes, mais aussi dans le Jura. Le loup est protégé depuis 1986 par la loi fédérale sur la chasse.
L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) a estimé le nombre de loups suisses à 250 « individus matures » en 2022. KORA, qui surveille les populations de grands prédateurs pour le compte de la Confédération, estime qu’il y a actuellement 8 couples de loups et 31 meutes, dont 9 meutes transfrontalières partagées avec la France et l’Italie. La Suisse offre des habitats très favorables aux loups et la moitié du pays pourrait théoriquement abriter 50 à 100 meutes. Les loups suisses font partie d’une population plus large des Alpes occidentales et centrales dont les effectifs augmentent également. En effet, les populations croissantes de France et d’Italie ont été la raison invoquée par l’OFEV pour la récente reclassification du loup d’espèce en danger (EN) à espèce vulnérable (VU), malgré le fait qu’une population de 250 individus devrait être classée comme espèce en danger, sur la base des critères de classification D.
Les loups suisses continuent d’être confrontés à d’importantes menaces liées aux abattages légaux et illégaux, aux collisions avec les véhicules routiers et les trains, ainsi qu’à leurs petites populations fragmentées. L’abattage de cet hiver et la législation récemment modifiée qui le sous-tend permettraient à la Suisse de réduire la population jusqu’à 70 % et le nombre de meutes jusqu’à 12, menaçant non seulement la survie de l’espèce en Suisse, mais aussi potentiellement la population plus large des Alpes occidentales et centrales. Les quotas cantonaux d’abattage de loups permettraient de réduire le nombre de meutes en deçà des 17 meutes requises pour garantir une « population minimale viable » pour les loups suisses dans le cadre de la population alpine plus large.
La nouvelle législation divise la Suisse en 5 régions et permettrait de réduire le nombre de meutes à 3 dans chacune des deux « grandes régions » désignées, à savoir les « Alpes occidentales » qui comprennent le Valais – la route la plus importante empruntée par les loups de passage en provenance de France et d’Italie – et le « sud-est » qui englobe les Grisons. Le canton du Valais a déjà envoyé des invitations aux chasseurs pour qu’ils choisissent la meute qu’ils souhaitent cibler et a annoncé qu’il souhaitait tuer 34 loups et éliminer 7 de ses meutes.
Les conventions internationales sont importantes
La Suisse a ratifié la Convention de Berne en 1981. L’objectif de la Convention est de « conserver la flore et la faune sauvages et leurs habitats naturels, en particulier les espèces et les habitats dont la conservation nécessite la coopération de plusieurs Etats, et de promouvoir cette coopération » en mettant l’accent sur les « espèces menacées d’extinction et vulnérables ». Le loup figure à l’annexe II comme une « espèce de faune strictement protégée » qui ne peut être régulée que pour « prévenir des dommages importants » au bétail, à condition qu’il n’y ait « pas d’autre solution satisfaisante » et que les mesures ne soient pas « préjudiciables à la survie de la population concernée » (article 9).
La Suisse est également partie à la Convention alpine, le premier traité international visant à protéger une chaîne de montagnes entière grâce à la coopération entre huit nations alpines et l’UE, dont l’un des objectifs est de « préserver la faune et la flore alpines, y compris leurs habitats ». La convention reconnaît également que « les Alpes constituent un habitat essentiel et le dernier refuge pour de nombreuses espèces menacées » et qu’à ce titre, les pays partagent la responsabilité de maintenir les populations, y compris de grands carnivores, en évitant les « trous noirs » et en promouvant un réseau de connectivité entre les sous-populations.
Une Convention signée en 2006 entre la France, l’Italie et la Suisse stipule que les populations de loups des trois pays doivent être considérées comme une seule et même population alpine dans le cadre de la législation nationale et du droit international, ce qui rend d’autant plus importante la mise en œuvre de mesures de conservation et de gestion à la fois coordonnées et cohérentes.
En tant que partie contractante, la Suisse est tenue de respecter les objectifs et les articles de toutes ces conventions. Au lieu de cela, elle a cherché à plusieurs reprises et de plus en plus à affaiblir la protection du loup, tant au niveau européen qu’au niveau national, ce qui a abouti à l’abattage de cet hiver. Par ses actions unilatérales, la Suisse ne menace pas seulement la survie de sa propre population de loups, déjà fragile, mais elle sous-traite en fait la responsabilité de la conservation du loup à ses voisins.
Les faits comptent
Les partisans de l’abattage ont dépeint le loup comme un prédateur assoiffé de sang qui tue sans raison le bétail et représente une menace pour l’Homme (« le bétail aujourd’hui, les enfants demain »), mais le KORA n’a pas enregistré un seul loup « intrusif » ou agressif en Suisse depuis la recolonisation naturelle de l’espèce en 199519 et le plan suisse de gestion du loup permet déjà d’abattre les loups qui développent un comportement « problématique » à l’égard de l’Homme.
Les conflits résultent d’attaques sur le bétail qui visent principalement les moutons (plus de 90%), quelques chèvres (6-8%), et rarement les bovins, les chevaux et les camélidés. Cependant, la plupart des attaques concernent des troupeaux laissés sans protection sur les pâturages d’été. Les grands carnivores, principalement les loups, ne représentent que 6 % de la mortalité des moutons pendant l’estivage sur les alpages suisses. Les maladies et les accidents sont responsables de la plupart des décès de bétail.
La Suisse exploite depuis longtemps et pleinement la flexibilité de l’article 9 de la Convention de Berne pour éliminer les loups pilleurs de bétail qui causent des « dommages importants », et bien plus de loups ont été abattus légalement (54 individus, soit 42%) que ceux qui sont morts dans des collisions routières ou qui ont été braconnés au cours des 25 dernières années. Il n’est donc pas nécessaire de déclasser le loup de la liste des espèces protégées, ni de procéder à l’abattage.
La science en question
L’objectif supposé de l’abattage de cet hiver est de réduire la prédation du bétail et, selon les termes du Conseil fédéral, de « rendre le loup à nouveau redoutable ». Cependant, moins de loups ne signifie pas nécessairement moins de dommages qui, en Suisse, sont soumis à de nombreuses variables telles que les structures agricoles, les mesures de protection du bétail, la densité des proies et les pratiques d’élevage traditionnelles. La prédation sur le bétail peut en fait augmenter après un abattage de loups, probablement en raison des impacts sur la structure démographique, territoriale et sociale des populations de loups. Cela peut à son tour conduire à des taux de reproduction plus élevés et à d’éventuels changements dans le comportement des animaux, y compris dans leurs habitudes de chasse, risquant ainsi d’aller à l’encontre de l’objectif supposé de l’abattage. Une étude réalisée en 2020 a montré que « le contrôle létal et la translocation étaient moins efficaces que d’autres mesures », telles que des cordes munies de drapeaux colorés (avertissement visuel) et des chiens de garde, pour réduire la prédation du bétail.
En effet, les mesures préventives telles que les chiens de protection, les clôtures électriques et la présence humaine ont remarquablement réussi à réduire les dommages causés par les loups en Suisse, comme en témoigne l’OPPAL, une organisation qui vise à améliorer la cohabitation entre les activités humaines et les grands carnivores.Le nombre d’animaux de rente tués par des loups en Suisse en 2023 a diminué de 29% par rapport à l’année précédente (850 contre 1200), malgré une augmentation du nombre de loups.
Il est peu probable que la régulation de la population de loups permette d’éviter les abattages de bétail tant que la protection des troupeaux reste insuffisante, et il a été démontré que la légalisation et l’approbation de l’abattage d’espèces protégées augmentent le risque de braconnage. En outre, la rhétorique anti-loup qui sous-tend l’abattage ne risque pas seulement de saper le soutien aux loups, elle subvertit aussi sérieusement le rôle de la science dans la gestion de ces animaux.
L’opinion publique compte
Selon un sondage réalisé en 2019 par Pro Natura, la plus ancienne organisation de protection de la nature en Suisse, 79 % des Suisses ne veulent pas que les loups soient tués lorsque les éleveurs ne protègent pas leur bétail. Les clôtures électriques/solaires sont particulièrement prometteuses. Elles sont coûteuses, mais des subventions sont disponibles. L’OFEV a débloqué 3,7 millions de francs pour les mesures de protection du bétail. Aujourd’hui, l’élevage de moutons et de chèvres dans les régions de collines et de montagnes est menacé par la mondialisation et n’est plus rentable, si bien qu’il n’est souvent pratiqué qu’à titre accessoire. Beaucoup d’éleveurs refusent d’utiliser des moyens de dissuasion et la prédation continue. Le loup devient le bouc émissaire d’un débat qui symbolise des divisions sociétales plus larges, telles que le clivage ville/campagne ou la politique de droite/gauche. Le niveau socio-économique élevé de la Suisse est inversement proportionnel à sa tolérance aux conflits entre loups et bétail.
Cependant, en 2020, le public suisse a voté lors d’un référendum national contre une modification de la loi qui aurait facilité l’abattage des loups. Deux ans plus tard, sans se laisser décourager par le vote du public, le Parlement a adopté une nouvelle version de la loi de 2020 qui avait été rejetée par les électeurs. Elle fournit le cadre juridique le plus récent pour fixer des quotas de loups au niveau cantonal afin de réguler des meutes entières de manière « proactive » et non plus « réactive » à partir du 1er décembre 2023.
La récente modification de l’Ordonnance (OChP) qui légalise l’abattage à venir, marque l’aboutissement de plus de 60 motions au parlement et de 17 années de tentatives d’affaiblir la protection du loup tant au niveau européen que national. De plus, elle est entrée en vigueur le 1er novembre sans avoir fait l’objet d’un processus de consultation légal et approprié.
L’abattage n’est pas fondé sur des données scientifiques et a tout à voir avec la démagogie et la diffamation politiques. Il risque d’aggraver la polarisation et d’attiser les tensions.
La nature est importante
Nous assistons actuellement à une extinction massive des espèces. Le loup joue un rôle vital dans le maintien de l’équilibre des écosystèmes et son retour en Suisse est une rare réussite dans un pays où les pourcentages d’espèces menacées sont parmi les plus élevés de l’OCDE.
Des décennies de progrès pourraient être réduites à néant cet hiver et au-delà.
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Fût une époque, la Suisse était réputée pour son sens de la mesure.
Manifestement, une partie des politiciens Suisses sont devenus aussi démagogues et clientélistes que leurs homologues français, ce qui n’est pas une référence.
Le Loup ne connaissant pas les frontières, l’association Le Klan du Loup fait partie des 197 associations ayant signé cette Lettre ouverte.
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Mise à jour du massacre des Loups en Suisse (21/12/2023).
1 Response
Quoi qu’on fasse, le loup reviendra dans les territoires desquels il a été chassé. Il serait de loin préférable que ce soit pacifiquement. Qu’on le veuille ou non il faudra un jour un vivre avec les loups. Si la majorité du peuple suisse est défavorable au tir sur les loups qu’il le fasse connaître à ceux qui le dirige lors d’une votation !!!